Au nom de la corne
Il est le plus gros des rhinocéros asiatiques. Sa particularité ? Une seule et unique corne de 3 kilos qui lui vaut bien des soucis. Après avoir frôlé l’extinction, cette espèce ne subsiste que dans quelques aires protégées de l’Inde et du Népal. Malgré cela, ce gros cuirassé n’est pas difficile à rencontrer et à admirer… à dos d’éléphant, bien évidemment !
La brume dévoile petit à petit les innombrables bras d’eau qui innervent la frontière ouest du parc de Bardia. Ici, la rivière Karnali se décline sous la forme de multiples cours d’eau et de méandres marécageux. L’éléphant franchit sans mal la rivière en posant délicatement ses pieds sur le fond caillouteux pour garder son équilibre. Remontée acrobatique de la berge. Le pachyderme ne peut s’empêcher d’arracher au passage de larges brassées d’herbes fraîches. Le guide népalais, debout sur la croupe de l’éléphant, pointe son doigt vers un bras d’eau et s’exclame : « rhino ! ». Une femelle et son petit, occupés à s’abreuver et se baigner.
Cette espèce de rhinocéros est vraiment unique en son genre ; presque tout le différencie de ses cousins africains. De près, l’observateur peut apprécier les épais replis de sa peau qui lui confèrent l’allure d’un animal cuirassé. Son arrière-train porte d’étranges tubercules qui évoquent les écrous d’une porte blindée ! Cette scène paisible et rassurante d’une mère avec son jeune, évoluant en toute sérénité, est chose commune dans les parcs nationaux de Chitwan et de Bardia. Ces gros herbivores, particulièrement casaniers, se laissent placidement contempler par les visiteurs installés dans la nacelle fixée sur le dos d’un éléphant.
Pourtant, ce sont des animaux victimes de la folie et de la cupidité des hommes. La corne de cette espèce est réputée pour posséder des vertus médicinales plus puissantes que celles des rhinocéros du continent africain. Le prix du kilo se négocie sur certains marchés asiatiques à 50 000 dollars américains ! Des hommes de main sont ainsi prêts à risquer leur vie pour toucher une infime part du butin.
Le rhinocéros unicorne a bien failli disparaître, et tente désormais de survivre dans quelques enclaves préservées du sous-continent indien.
Plus que de l’or
Le rhinocéros a souffert pendant de nombreuses décennies, comme beaucoup d’autres grands mammifères, de la disparition de son habitat, de la chasse sportive et du braconnage.
En Asie, au Moyen Age, on croyait que les tasses sculptées dans de la corne de rhino pouvaient détecter un quelconque poison en gelant tout liquide impure ou en cassant la tasse en deux si du poison y était versé. De nos jours, de nombreuses pharmacies en Extrême-Orient vendent des produits faits à base de corne de rhino pour traiter toutes sortes de maladies, notamment comme remède contre la douleur et la fièvre. Les Chinois ne le prescrivent pas comme aphrodisiaque mais comme fébrifuge. C'est en Inde, et particulièrement dans les Etats du Gujarat et du West Bengal, qu'il est utilisé comme stimulant sexuel.
Sa corne vaut désormais plus que de l’or : avec la raréfaction de l’espèce, le prix du kilo sur le marché noir est passé de 35 dollars américains en 1972 et 18 000 dollars en 1991 ! La corne travaillée et manufacturée atteint même 50 000 USD le kilo sur certains marchés d’Asie du Sud-est (par comparaison, le prix de l’or pur n’est que le quart de ce prix).
Entre 1969 et 1976, la République Arabe du Yémen a importé plus de 22 tonnes de cornes (l'équivalent de 7 800 rhinos morts) pour confectionner des manches de jambias, des poignards traditionnels. Presque tous les hommes Yemeni de 14 ans et plus possèdent une telle arme. Les plus belles, avec un manche en corne de rhino finement sculptée, coûtent jusqu'à 13 000 dollars pièce.