Denis Clavreul

Aux pays d’Audubon

Jeune nantais émigré aux Etats-Unis en 1803, Jean-Jacques Audubon, peintre naturaliste, a laissé une oeuvre magistrale célébrée outre-Atlantique : les Oiseaux d’Amérique. Près de deux siècles plus tard, Denis Clavreul, autre dessinateur naturaliste Nantais, décide d’emprunter ses pas et d’explorer les mêmes régions. Il nous dévoile les coulisses de son projet de longue haleine sur une Amérique authentique.

 

Denis Clavreul, quel a été votre parcours de dessinateur ?

J’ai étudié pendant dix ans la biologie avant d’obtenir un doctorat d’Ecologie. Naturaliste et dessinateur autodidacte, j’ai décidé en 1984  de vivre de mes dessins et mes peintures. J’ai illustré un grand nombre de livres, d’articles, de guides et de documents pédagogiques consacrés le plus souvent à la préservation de l’environnement. Après avoir longtemps été sollicité par des éditeurs parisiens, je travaille à présent plus régulièrement avec les Parcs régionaux et nationaux, le Conservatoire du littoral, diverses municipalités, et des éditions régionales. Mes sujets de prédilection sont les animaux et les gens en mouvement, les paysages, l’architecture. J’ai publié de nombreux carnets de voyages au cours de ces dernières années. Je réalise depuis 4 ans un long projet en France et aux Etats-Unis consacré aux voyages du peintre naturaliste Jean-Jacques Audubon.

Il paraît naturel qu’un dessinateur Nantais, naturaliste voyageur, s’intéresse à l’épopée d’Audubon.

Il y a de multiples raisons pour lesquelles je me suis intéressé de près à l’œuvre d’Audubon. Tout d’abord comme tout artiste-naturaliste, je suis fasciné par son œuvre colossale et admirable, l’aspect novateur de son style alliant le souci de décrire avec précision l’animal « grandeur nature », le milieu où il vit et la particularité de ses attitudes. Audubon n’était pas simplement un artiste autodidacte remarquable, c’était avant tout un fin ornithologue, malgré son penchant pour la chasse. Il a écrit des textes et des récits d’une grande valeur scientifique. Le fait qu’il ait passé son enfance sur les bords de la Loire, en région nantaise, a également motivé mon désir de mieux le connaître et surtout, d’aller découvrir les principales régions d’Amérique qu’il a exploré au cours de sa vie. En lisant ses journaux, on a tout de suite envie d’aller sur ses pas, d’arpenter ces territoires sauvages et de revivre un peu ses aventures. Je crois qu’en filigrane, ce projet était au départ une bonne excuse pour découvrir et explorer des lieux mythiques.

Qu’est-ce qui vous impressionne le plus dans son oeuvre ?

J’ai vu les peintures originales d’Audubon qui sont exposées à la New-York Historical Society. Au-delà de l’aspect scientifique de son travail, j’ai été impressionné par le format des dessins et du double-éléphant-folio (98 cm x 76 cm) dont chaque exemplaire regroupe les gravures colorées à la main réalisées à partir de ses originaux. La qualité et le soin apporté aux planches originales m’étonne aussi - il n’y a ni taches ni bavures - alors qu’il faut tout de même imaginer les conditions parfois difficiles dans lesquelles Audubon travaillait.

Audubon était tout de même un chasseur invétéré, ses récits sont d’ailleurs émaillés de massacres auxquels il a participé. Il tuait les espèces avant de les dessiner. La tâche était donc plus facile pour les peindre ?

Certes, les oiseaux étaient tués avant d’être représentés, mais Audubon ne disposait que d’ateliers de fortune, parfois sur des barges de pionniers à la conquête de l’Ouest. Les longues-vues n’existaient pas, pas plus que les filets qui permettent aujourd’hui de capturer momentanément certains oiseaux avant de les relâcher. La chasse sans limites était une pratique généralisée à l’époque.

 JJ Audubon a consacré 30 années de sa vie pour aboutir les 435 planches des Oiseaux d’Amérique. Il a vécu parmi les trappeurs et les Indiens, a voyagé à pied, à cheval, en canoë ou sur les premiers bateaux à vapeurs de la Floride au Labrador, des Carolines aux Rocheuses. Est-ce que votre projet est celui d’un « Audubon des temps modernes » ?

Je n’ai ni l’intention, ni la prétention de refaire ce qu’Audubon a réalisé dans un perfectionnisme presque obsessionnel. Le début de ce projet a été amorcé en 2003 par une commande du Muséum d’histoire naturelle de Nantes pour une exposition sur l’artiste-explorateur. Le Service des espaces verts de la ville m’avait également confié une mission concernant certaines plantes américaines introduites en Europe. J’ai donc réalisé quatre séjours cette même année ; ce travail m’a donné envie de poursuivre l’aventure. Je voulais aller plus loin, rencontrer et dessiner les gens, ceux qui vivent maintenant sur les territoires qu’a connu et décrit Audubon. Ce projet est devenu une initiative personnelle, un peu folle je l’avoue parce que très risquée sur le plan financier. J’en suis maintenant à une dizaine de séjours, en Floride, en Louisiane, en Dakota du Nord, dans l’Ohio, au Québec, etc. J’estime qu’il me reste encore cinq ou six séjours à organiser au cours des trois prochaines années pour boucler cette idée ambitieuse.

Cela dépasse donc l’approche naturaliste du territoire. Vous intégrez aussi la dimension humaine et la vie des autochtones.

Oui, il ne s’agit pas de me livrer à une chasse aux espèces, crayons en main, mais à une déambulation au gré des voyages et des rencontres. Je me suis nourri des journaux de bord d’Audubon et je vis ces espaces de nature sans attente particulière. C’est un témoignage d’artiste sur notre époque, de naturaliste et de citoyen du Monde qui a envie de retranscrire par le dessin et en quelques mots ce que ressentent les gens vis-à-vis de la Nature. J’aime passer du temps avec des pêcheurs, des agriculteurs, des scientifiques… Je suis comme un papier buvard, j’absorbe tout ce que je vis et je dessine sur le vif l’instant partagé. Au fil de mes itinéraires, j’ai noué beaucoup de contacts, très riches sur le plan humain. J’ai ainsi été invité à exposer mon travail, notamment par la Audubon Society.

Vous choisissez de dessiner et de colorer vos planches sur le terrain. Il n’y a donc pas de retouches ou de travail léché comme faisait Audubon ?

Je travaille surtout sur le vif, dans l’instant. Plus tard, à l’atelier, il m’arrive de faire des retouches, de mieux sentir avec le recul ce qui « manquait au tableau ». J’utilise principalement le crayon et l’aquarelle, parfois le fusain et le pastel. Audubon utilisait aussi ces techniques. J’aime la sensualité de la ligne, elle est toujours le résultat d’un subtil équilibre entre tension et relâchement. J’aime ce genre de défi, ces tentatives d’aller à l’essentiel avec si peu de moyens. Une forme inachevée ou la trace d’un mouvement sont souvent plus vivantes qu’un dessin complet de l’animal. Lorsque je dessine ce que je vois, je prends des risques, je dois faire très rapidement des choix, composer aussi avec les lumières changeantes. Mes images ne sont pas des instantanés, comme des photos, mais des synthèses, des additions d’instants et d’émotions.

Peut-on dire qu’Audubon a initié un nouveau courant de peinture animalière, avec des espèces dessinées dans leurs activités alimentaires ou de reproduction, une peinture plus naturaliste finalement ?

Son approche artistique en a déconcerté plus d’un dans les milieux scientifiques. Son style paradoxalement « trop vivant » n’a pas convaincu, dans un premier temps, ses interlocuteurs américains. Il a été contraint d’aller chercher des souscripteurs en Europe et plus particulièrement en Grande-Bretagne pour publier l’intégralité des « Oiseaux d’Amérique ». D’autres artistes talentueux ont eu, et ont encore, des démarches proches de celle d’Audubon, mais une approche moins descriptive, plus impressionniste, s’est développée dès la fin du 19è siècle. L’artiste suisse Robert Hainard m’a beaucoup influencé à mes débuts. Il est un de ces grands artistes contemporains trop mal connus qui est parvenu à concilier la rigueur et le bonheur de l’observation avec une restitution extrêmement sensible, instinctive, intérieure. Parfois aux limites de l’abstraction. Je me sens plutôt dans cette lignée d’artistes. Robert Hainard disait d’ailleurs qu’en voyant la bête, il devenait la bête ; il accomplissait ses mouvements avec elle et qu’il retrouvait le mouvement dans la mémoire de ses muscles…Observer un animal, puis tenter une esquisse, cela ressemble un peu à  un acte de chasse, au besoin d’une capture ? Je pense souvent aux premiers artistes-chasseurs, à ces hommes sensibles qui peignaient dans les grottes et dont je me sens proche. Il n’y a pas de rapport moderne ou préhistorique au monde et à l’art. Ces hommes touchaient déjà à l’essentiel, exprimant leur humanité profonde.

Cette animalité dans le geste de l’artiste, j’imagine que vous vouliez aussi la ressentir dans vos voyages sur les traces d’Audubon ?

Chaque voyage, chaque expérience nouvelle un peu décalée par rapport aux habitudes est un enrichissement d’autant plus intéressant qu’il permet ensuite de re-découvrir des lieux familiers. Aller peindre en Amérique, ou en Afrique, c’est aussi pour moi une façon de mieux être ici. Et j’ai l’impression qu’un jour ce besoin d’ailleurs me sera moins nécessaire, je ne me nourrirai en tant qu’artiste que de choses très proches. En tant que naturaliste, la découverte de toutes ces contrées inconnues est une expérience merveilleuse. J’ai en mémoire des moments forts, au cours desquels je me suis senti étrangement animal, presque bison dans les prairies du Dakota, un peu lamantin dans les lagunes de Floride. Il y a dans l’observation et la peinture quelque chose qui me relie au monde, à la nature, mais aussi aux gens.

Ce besoin de l’instant vous a-t-il permis de vivre des ambiances similaires à celles décrites dans l’œuvre d’Audubon ?

Je garde un souvenir ému d’un moment passé sur  l’îlot du Petit Mécatina, le long la côte nord du Québec. J’y ai entendu les hululements si étranges et si envoûtants des plongeons catmarins, tels que les avait décrits Audubon dans ses récits de voyages, presqu’au même endroit. Evidemment, beaucoup de paysages ont été totalement transformés, urbanisés, et la comparaison avec ceux qu’Audubon a découvert est souvent difficile. Mais Audubon, pourtant complice de plusieurs carnages, percevait déjà la disparition des milieux naturels et des espèces. Il a été un précurseur de la conscience écologique aux USA et l’un des premiers à dénoncer le massacre des oiseaux, la destruction des biotopes : une attitude à contre-courant des pionniers américains qui poursuivaient au début du 19è siècle l’inexorable conquête du continent.

Son engagement pour la protection de la nature a ainsi inspiré les premiers écologistes qui, 50 ans après sa mort, ont pris son nom pour nommer l’une des plus grandes organisations de défense de la nature aux USA.

Créée en 1886, la National Audubon Society, avec quelque 600 000 membres, est la première organisation américaine de protection de la nature. Le plus français des artistes naturalistes Américains a donc insufflé aux Etats-Unis un esprit qui va au-delà de son œuvre.

Audubon reste néanmoins mal connu en France. Est-ce que votre travail a également vocation de mieux le faire connaître ?

C’est tout le paradoxe du personnage : aux Etats-Unis il est aussi célèbre que La Fayette et encore très peu connu en France ! J’espère que mon travail et la publication d’un livre destiné à un large public trouveront autant d’échos positifs qu’aux USA. J’ai eu la chance de pouvoir exposer à Mill Grove, près de Philadelphie, ancienne propriété du père d’Audubon en Pennsylvanie. C’est la première fois qu’un autre artiste qu’Audubon était exposé dans ce lieu. Contrairement à ce que certains pensent en France, de plus en plus d’américains se sentent citoyens du Monde, concernés par les grands problèmes d’environnement. J’ai souvent l’impression que mon travail intéresse les gens parce qu’au-delà d’Audubon, je parle d’un sujet finalement universel, de ce lien qu’ont les hommes avec la nature et le monde.

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