Le macareux moine, Vedette du littoral atlantique
Petite silhouette rondelette, démarche chaloupée, bec multicolore, le petit clown de mer est sans conteste l’espèce vedette du littoral atlantique. Sa vie n’est pourtant pas un long fleuve tranquille… le macareux a même bien failli disparaître de nos côtes.
Après une longue période de 8 mois passée en mer, les macareux reviennent à la colonie. C’est le début du printemps, la durée du jour augmente, la mer commence à se réchauffer, la mue vient de s’achever. Leur instinct profond va ramener les macareux non seulement sur le site où ils se sont déjà reproduits – ou bien, pour les jeunes qui reviennent pour la première fois sur le site, où ils ont été élevés – mais aussi dans le même terrier. Les premiers retours au site de macareux sont notés en mars pour la Bretagne. En Grande-Bretagne, la moyenne des arrivées se situe dans la dernière semaine de mars. Le lien entre mâle et femelle dure d’une année sur l’autre, la fidélité est forte. Des recherches ont montré que 85 % des macareux gardaient le même partenaire d’une année sur l’autre. Le macareux ne « divorce » que si l’un des partenaires meurt au cours de l’hiver. L’hypothèse la plus couramment admise est que le lien dure toute une vie de macareux, même si mâle et femelle ne passent pas l’hiver ensemble (on ignore s’ils le font) et ne se voient donc plus pendant un intervalle de plusieurs mois. Cela suggère une explication plus pragmatique et moins romantique que la loyauté des partenaires l’un envers l’autre : la très forte attraction à la même colonie et au même nid. Il a été démontré que plus de 90 % des propriétaires de terriers gardaient le même d’une année sur l’autre. Un macareux qui perd son partenaire, quelle que soit la raison, multipliera sérieusement ses chances d’en trouver un nouveau s’il est déjà propriétaire d’un terrier.
Vivre en colonie
Lorsque les macareux reviennent à la colonie pour la première fois, ils ont en moyenne 3 ans. Ils vont acquérir un terrier, trouver un partenaire, et pendant au moins deux ans renforcer les liens du couple et perfectionner le nid. Mais leurs premières tentatives de reproduction n’auront lieu qu’à 5 ou 6 ans bien que certains essayent dès l’âge de 3 ou 4 ans. Beaucoup ne se reproduisent pas avec succès avant l’âge de 7 ans ou même plus. Les macareux, éminemment sociables, ont l’habitude de se reproduire en colonies souvent très importantes, avec une préférence marquée pour les endroits retirés. Comme tous les oiseaux de l’Atlantique Nord, leurs rassemblements en grand nombre mettent en évidence la richesse et la productivité des eaux côtières et des abords des plateaux continentaux ; ces plateaux s’étendent en pente douce depuis le rivage jusqu’à une profondeur moyenne de 200 m, et sont riches en plancton, le fondement de la chaîne alimentaire océanique.
Les macareux nichent sur des falaises maritimes escarpées ou de petites îles rocheuses, toujours avec vue sur la mer. Une végétation luxuriante ou une couverture d’herbe abondante sur un sol tourbeux épais et meuble représentent pour eux les conditions idéales. Ainsi les pentes gazonnées au-dessus du rebord des falaises, les replats herbeux sur les versants montagneux du littoral ou sur les îles basses conviennent-ils fort bien à ces terrassiers : les macareux moines ont en effet la spécialité de creuser un terrier chaque fois que le substrat le permet, afin d’y abriter leur œuf. La densité moyenne se situe entre 0,5 et 1 terrier par m2, mais peut atteindre 3 terriers au m2. Dans certaines colonies denses, les tunnels sont beaucoup plus longs, atteignant parfois plus de quinze mètres : ils correspondent en fait à des systèmes complexes et profonds de galeries reliées entre elles, à la manière d’une petite cité souterraine, voire d’un labyrinthe. Du coup, un seul nid pourra avoir plusieurs entrées, et une entrée peut conduire à plusieurs nids.
Une histoire tragique en France
Malgré un nombre important d’individus sur les lieux de reproduction, les effectifs des macareux peuvent chuter rapidement. L’histoire des colonies bretonnes en est un triste exemple. En effet, ses mœurs pélagiques et son régime alimentaire essentiellement piscivore, lui vaut d’être sous la menace permanente des activités humaines. En dehors de la période de reproduction, le macareux stationne en mer en se laissant flotter en permanence sur l’eau. Cet oiseau a un mode de vie qui l’expose donc directement aux pollutions marines, aux méfaits des filets de pêche et de la pêche industrielle. Après une chasse intensive perpétrée au xixe siècle, qui perdure de manière réglementée aux îles Féroé (90 000 macareux prélevés chaque année) et en Islande (150 000 à 200 000 macareux chassés par an), le clown de mers connaît les effets des changements climatiques et océaniques, là où l’homme a aussi une grande part de responsabilité. Compte tenu de sa faible productivité (1 seul jeune par an), du faible taux de survie de l’immature, et de l’âge relativement tardif pour la première reproduction, le niveau de croissance est faible chez le macareux moine. Ses populations ne peuvent augmenter que doucement et prennent plusieurs années à se remettre d’événements de forte mortalité.
Le macareux moine connaît une histoire aussi tragique que passionnante en France. Les anciennes publications évoquent des colonies prospères de plusieurs milliers d’individus en France au xixe siècle. Dans notre pays, les colonies ont été massacrées pour des raisons purement de loisirs et de tourisme de « chasse sportive ». Les hécatombes au fusil de macareux dans l’archipel des Sept-Îles ont provoqué la colère des locaux et des naturalistes et ont abouti, par ordre du Préfet, à la protection de l’archipel et des macareux en 1912, et à la naissance de la Ligue pour la Protection des Oiseaux. Après avoir souffert de cette pression de chasse, le macareux a ensuite subi les méfaits des pollutions. Le naufrage du Torrey Canyon en 1967, en pleine période de nidification, a anéanti 4000 des 5000 macareux présents dans l’archipel. La Bretagne accueille 100% des effectifs français (moins de 200 couples) et moins de 0,01 % des effectifs européens. Le macareux moine est protégé sur notre territoire depuis 1968, mais demeure parmi les trois espèces d’oiseaux marins les plus menacées en France, avec le pingouin torda et la sterne de Dougall. Face aux millions d’individus qui peuplent les côtes de l’Atlantique nord, les colonies françaises font pâle figure. Ces populations marginales, en limite de répartition méridionale pour l’Atlantique-Est, restent néanmoins des baromètres intéressants de l’évolution des effectifs selon les changements climatiques et les effets des activités humaines.