Le mouvement migratoire s’amplifie dans les semaines qui suivent ; les groupes d’oies sombres finissent par envahir les côtes abritées au point de faire partie intégrante du paysage maritime français. Quiconque se promène en l’hiver le long des grèves ne peut ignorer les doux cris gutturaux des familiers et singuliers rassemblements de bernaches cravants. Mais qui pourrait imaginer que les populations de bernaches ont frôlées l’extinction ?
Une histoire mouvementée
Dans les années 30, les populations de bernaches cravants ont connu la période la plus sombre de leur histoire. Suite à une épidémie restée énigmatique, les herbiers de zostères, leur principale source alimentaire, ont été en grande partie décimés. Dans cette même période, les prélèvements sur les sites de reproduction, en Sibérie, ont été trop importants pour cette espèce déjà fragilisée. Les conséquences furent désastreuses : les effectifs européens chutèrent de 60% en l’espace de quelques années. A la fin des années 50, la population européenne est évaluée à 16500 individus seulement dont 3700 hivernants en France ! La fin des années 70 voit une nette progression des effectifs et une reconstitution progressive de leurs populations. Depuis, le nombre de bernaches cravants fluctue entre 200 000 et 300 000 individus.
Terre d’asile
Espèce protégée en France (depuis 1981), la bernache trouve sur notre territoire toutes les conditions nécessaires pour son épanouissement. Le littoral français recèle en effet de vastes herbiers de zostères. Avec près de 100 000 individus au cœur de l’hiver, notre bord de mer accueille 40% des effectifs totaux européens. Une véritable terre d’asile ! C’est ainsi que de la mi-septembre à la mi-avril, les bernaches se répartissent dans 35 sites naturels français, regroupés sous 3 pôles d’hivernage : le sud de la Bretagne, la Charente-Maritime et le Bassin d’Arcachon. Onze d’entre eux ont une importance internationale, désignés par la Convention de Ramsar (plus de 3000 bernaches) : les baies du Mont-Saint-Michel, de Saint-Brieuc, de Quiberon, de Vilaine, des Veys et de Bourgneuf, le golfe du Morbihan, les traicts du Croisic, l’île d’Oléron-marais de Brouage, l’île de Ré et le bassin d’Arcachon. En début d’hivernage, les bernaches se nourrissent principalement de zostères mais au fur et à mesure de la diminution de cette ressource, elles se rabattent sur d’autres végétaux comme les algues vertes (les ulves), les graminées et les salicornes.
De nouvelles menaces
Malgré l’actuelle bonne santé de ses effectifs, la bernache cravant n’est pas à l’abri de nouvelles catastrophes écologiques. La présence de cette oie est directement liée à la préservation de son habitat naturel d’alimentation. Or, depuis 1970, les marais littoraux subissent de nombreuses pressions et modifications : aménagements touristiques, drainage pour la culture du maïs, eutrophisation, développement de la conchyliculture. Certaines méthodes de récolte des coques réduisent considérablement les capacités d’accueil des sites favorables à la bernache. Sous la pression de cette activité économique, les effectifs de bernaches cravants dans le golfe du Morbihan ont ainsi chuté de 40% entre 1992 et 1996.
Les populations de bernaches restent fragiles. Leurs effectifs peuvent considérablement fluctuer d’une année sur l’autre, en fonction de divers facteurs : prédation sur les lieux de reproduction, conditions météorologiques pendant leur migration… Ainsi en 1992, suite à une bonne saison de reproduction, la population européenne de bernaches atteignait 314 000 individus pour chuter en 1993 à 263 000 après l’échec de la nidification. Gageons que tous les moyens soient mis en œuvre à l’échelle européenne pour que cette petite oie sibérienne continue pendant longtemps à égayer de leurs cris retentissants nos baies en hiver.